Lorsque j'ai débuté ma carrière dans le recrutement il y a une dizaine d'années, je recrutais un chef d'agence pour un client dans le domaine de la sécurité incendie. J'ai rencontré un candidat qui manifestement avait traversé plusieurs épreuves professionnelles très difficiles. Il se trouve que le poste en question était exposé à de fortes tensions. Par souci de transparence et par bienveillance, j'ai expliqué au candidat pourquoi je ne le présenterai pas. Pourquoi je pensais qu'un tel poste ne lui correspondait pas à cet instant. Le candidat s'est braqué et a quitté la salle en claquant presque la porte. Et des exemples comme celui-ci, nous en avons tous.
Tous les candidats ne viennent pas forcément pour écouter des conseils ou des critiques, même constructives. Mais tous les candidats ont besoin d'un feed-back un minimum sincère. Le pire serait de tomber dans le stéréotype du recruteur qui ne fait jamais aucun retour négatif. Voire qui se cache derrière une boîte vocale.
Alors ?
Alors il faut faire du cas par cas, passer du temps, pour comprendre chaque individu, sa façon d'aborder l'entrevue. Identifier son niveau de sensibilité et faire l'effort de passer un message. Et si ce message n'est pas compris, finalement ne pas insister et respecter l'autre. Il s'agit de le comprendre et surtout de comprendre la dynamique de l'échange.

Être recruteur est un métier de contacts, de rencontres, d'échanges.

C'est un métier profondément humain: Passer une heure ou plus avec une personne pour en comprendre les aptitudes mais surtout les motivations, les attentes, les besoins.
C'est par essence un métier qui développe l'écoute et l'empathie.
Dans un monde professionnel où tout va plus vite, où le moindre recrutement est une urgence, où les recruteurs doivent optimiser leur temps, il peut être facile de perdre son regard et son écoute, de passer à côté de son interlocuteur. La charge de travail et l'urgence ne sont pas les seuls ennemis de l'écoute. Les habitudes et les réflexes peuvent aussi amener le recruteur à porter un jugement beaucoup trop hâtif sur la personne qu'il a en face de lui.
Je ne fais pas de distinction entre les recruteurs externes (agences, cabinets de chasse…) et les recruteurs internes. Car les mauvaises habitudes peuvent s'acquérir dans les deux univers et la pression du résultat quel qu'il soit (facturer des honoraires, satisfaire au plus vite un chef de service débordé, pourvoir un poste stratégique avec le regard appuyé du Président…) peuvent amener aux mêmes types d'erreurs que l'on travaille en entreprise ou en conseil ou agence. 
De nombreux recruteurs n'ont pas encore la conscience de leur responsabilité: Donner ou non l'opportunité à un candidat de décrocher un job aura assurément un impact sur sa vie. De même que de l'approcher et l'inviter à considérer un changement lorsque celui-ci a peut-être déjà trouvé un équilibre.
Mais il y a une responsabilité encore plus importante: Un recruteur va rencontrer dans sa carrière des dizaines, des centaines, voire des milliers de candidats, dont certains seront parfois en situation d'échec, de perte de confiance, voire de dépression. Lors de l'échange, le recruteur peut devenir une représentation concrète du monde auquel le candidat en difficulté est confronté. Le recruteur va donc avoir un rôle dans le processus de développement, voire de reconstruction du candidat.

Un autre piège qui nuit à l'humanité de notre métier est la catégorisation. 

C'est à dire réduire un individu à ce qu'il représente, de limiter son potentiel d'apprentissage et d'adaptation. Un commercial sédentaire ne pourrait pas prendre un poste à l'export avec 40% de déplacement. Un ingénieur alimentaire ne pourrait pas évoluer dans l'aéronautique. Un habitué du service public ne pourrait pas s'adapter au secteur privé…sans parler évidemment des discriminations. Le recruteur est en première ligne pour identifier des passerelles et convaincre ses clients que l'on peut dépasser ces a priori.
Pour avoir longtemps managé des équipes de recruteurs spécialisés en vente, j’ai connu de nombreux clients qui ont vécu des échecs pour avoir voulu simplement recruter à la concurrence, pour gagner du temps, et à négliger d'autres aspects beaucoup plus importants. Ne serait-ce que notre motivation à connaitre un nouvel environnement et à s'y adapter. Cette motivation se ressent fortement dans une intégration et apporte de la créativité à l'entreprise.

Le métier de recruteur apprend aussi le droit à l'erreur. 

Tout d'abord parce que c'est un métier difficile où il faut se remettre en question et progresser. Mais aussi car le recruteur rencontre des candidats qui peuvent avoir eux-mêmes connu des échecs ou des situations conflictuelles: Il devra alors les relativiser.
Je raconte souvent l'anecdote d'un de mes anciens clients, qui avait eu l'intelligence de recruter un candidat pour un poste de Directeur Régional malgré un licenciement pour altercation physique. Cet événement avait été découvert lors d'une prise de référence que j'avais effectuée auprès de l'ancien manager indiqué par le candidat. Un échange clair avec le candidat sur ce qui s'était réellement passé, une nouvelle rencontre avec le client, pendant laquelle tous deux ont pu évoquer cette perte de contrôle, beaucoup de compréhension du client, ont abouti à une embauche qui s'est suivie de plusieurs années de réussite. D'autres auraient peut-être simplement clos le dossier à la simple évocation des faits, sans chercher à comprendre.